REGROUPEMENT DES AGRICULTEURS ET ELEVEURS DE KABARE
RAEK : c’est fort de café
Courtoisie d' Oscar Kubisibwa
Les petits paysans du Sud-Kivu sont pris en
tenaille entre instabilité et isolement. Mais ils ne baissent pas les bras.
Immersion en pleine relance du café.
C’est l’histoire d’une terre minée par les
guerres. C’est l’histoire de femmes et d’hommes qui font face à des défis
énormes. C’est l’histoire de producteurs de café qui s’unissent pour mieux se
renforcer.
RAEK
QUI ? Regroupement des agriculteurs et
éleveurs de Kabare
QUOI ? RAEK rassemble les petits paysans du
territoire de Kabare et les accompagne dans tout le processus de production et
de vente du café. La scolarisation des enfants, l’amélioration des habitats et
la lutte contre la violence faite aux femmes sont au cœur de son action.
« Même si moi-même, je n’ai jamais dû fuir
mes terres à cause de conflits, je connais beaucoup de gens qui n’ont pas eu le
choix. Souvent, en revenant, ils retrouvaient leurs cultures dévastées. »
Jean de Dieu Mulungu a d’abord tenté de
joindre les deux bouts par lui-même. Caféiculteur dans le territoire de Kabare,
à l’Est de da République Démocratique du Congo, a bien dû s’y résoudre : sans
soutien ni entraide, son exploitation n’allait plus faire long feu. « D’autant
qu’aux conflits, s’ajoutent aussi régulièrement les pressions des trafiquants
», souligne-t-il. « Ils profitent de la situation pour nous racheter notre café
à des prix indécents. De plus, les mauvaises conditions de stockage qu’on
connaissait avant nous obligeaient à vendre pour éviter de perdre une partie de
la récolte. »
Ce constat, de nombreux caféiculteurs du
Sud-Kivu l’ont eux aussi dressé. C’est pourquoi ils ont décidé de s’unir depuis
1992 sous la bannière du Regroupement des Agriculteurs et Éleveurs de Kabare
(RAEK) afin de défendre leurs intérêts. Néanmoins, les obstacles se sont
révélés très difficiles à franchir. En entendant parler du programme agricole
d’Oxfam-Solidarité, ce qui était encore une ASBL à l’époque n’a pas hésité à
contacter l’ONG à la fin 2010. Et bien lui en a pris, si l’on en croit Jean de
Dieu Mulungu.
« Depuis que je participe au programme de
RAEK soutenu par Oxfam-Solidarité, beaucoup de choses ont changé. Et le
principal apport est venu des formations pour obtenir un café mieux lavé et
donc de meilleure qualité. Mais il y a également le soutien matériel grâce aux
outils liés à la culture et à la transformation du café qui nous permettent
aussi d’améliorer nos productions. »
Isolement, corruption et groupes armés
De son côté, Patrick Muligano, chargé de
programme pour Oxfam-Solidarité qui assure sur place suivi structurel de RAEK,
dégage lui aussi de nombreux éléments positifs de cette collaboration qui
permet de changer la donne dans la région : « Cela fait déjà plus de 2 ans et
demi que nous travaillons main dans la main avec RAEK. Et la collaboration ne
cesse de s’améliorer. » « Il faut dire que nous avons déjà parcouru un long
chemin car il fallait relancer toute l’activité caféicole dans la région. Les
agriculteurs délaissaient de plus en plus cette filière à cause de récoltes
trop peu importantes et d’une qualité de café trop mauvaise. Le matériel et les
techniques utilisés en étaient la principale cause. » « Une des autres
difficultés que rencontraient les caféiculteurs, c’est leur isolement, leur
manque de voie de communication avec l’extérieur. Tenter seul de vendre ses
produits, de faire face à la corruption et aux groupes armés, est quasiment
mission impossible. » Jean de Dieu Mulungu : « Depuis que j’ai rejoint RAEK en
2011, je me rends compte que les caféiculteurs de la région sont très unis.
Avec la coopérative, c’est l’esprit de collaboration qui domine. On travaille
ensemble pour le bien-être de la communauté, la réussite du projet. »
Stock ad hoc (, c’est capital)
Si elle est encore loin d’avoir atteint
tous ses objectifs, la collaboration entre Oxfam-Solidarité et RAEK a permis
aux caféiculteurs de s’équiper et de se former. Et qui dit s’équiper et se
former dit aussi générer de meilleurs revenus grâce à l’augmentation de la
qualité.
A terme, près de 2.000 petits producteurs
sont amenés à voir leurs conditions de vie et de travail s’améliorer. RAEK
s’est d’ailleurs fixé pour objectifs d’encourager la scolarisation des enfants,
l’amélioration des conditions de vie et la lutte contre la violence faite aux
femmes.
La famille de Jean de Dieu Mulungu a pu
constater cette évolution avec bonheur. D’ailleurs, ce dernier, qui avait
beaucoup de mal à joindre les deux bouts, ne cache pas une certaine fierté : «
Ce que le fait de rejoindre RAEK a apporté à ma famille ? J’ai une femme et 12 enfants,
âgés de 10 à 34 ans. Au niveau de l’habitat, nous avons pu mettre des tôles
pour couvrir la maison, ce qui nous permet d’avoir enfin un certain confort en
étant certains de rester au sec. Et puis, nous avons accès à des petits crédits
pour d’autres besoins de la famille qu’on rembourse après les récoltes. »
Oscar Kubisibwa, lui, est l’un des
responsables de RAEK, et ce qu’il souligne avant tout sont les progrès réalisés
en matière de reconnaissance du statut de la femme. « De nombreux efforts
doivent encore être fournis pour ce qui est de la place de la femme. Mais les
femmes sont de plus en plus impliquées dans les récoltes, la recherche d’eau,
le séchage, et ça leur permet de s’habiller plus facilement et de mieux
subvenir aux besoins de la famille. » « Mais il reste des carences. Le Conseil
d’Administration ne comprend qu’une femme sur sept membres. C’est trop peu mais
les choses changent pas à pas. »
Des grains sur la planche
Cependant, Oscar Kubisibwa tempère son
engouement sur la réussite de la collaboration entre sa coopérative et
Oxfam-Solidarité. Certes, il ne remet pas en cause les avancées plus que
significatives enregistrées depuis 2011. Mais il tient à rappeler qu’il reste
encore de nombreux chantiers. « Si les résultats de la collaboration entre RAEK
et Oxfam-Solidarité sont très bons, il nous reste encore beaucoup à faire. Les
attentes principales de la part des caféiculteurs ? En fait, il y en a trois
principales. D’abord, la création d’une station de transformation qui permette
de réaliser tout le processus au même endroit, à Kabare. Ensuite, obtenir une
certification du commerce équitable (voir encadré) pour pouvoir exporter un peu
partout. » « Enfin, il ne faut pas oublier que la plupart des gens ici sont
très pauvres. Beaucoup gagnent moins de 2$ par jour. La création d’un fonds de
roulement plus large fait dès lors également partie des prochains objectifs.
L’idée est de pouvoir faire des prêts plus élevés aux membres de RAEK qui ne
devraient pas rembourser avant les récoltes suivantes. » « Mais il s’agit aussi
de ne pas être à la merci de mauvaise récolte. Pour mettre en place ce fonds de
roulement, il faut avoir les moyens de récolter 19 tonnes de café parche (déjà
lavé). En termes de production, on atteint ce niveau, mais nous ne sommes pas
en mesure de stocker et de rassembler une telle quantité. »
Des raisons d’espérer
« Désormais », souligne Patrick Muligano, «
le café de la région est réputé pour sa qualité. Grâce au nouveau matériel de
transformation, il y a un potentiel énorme ici et on n’arrive d’ailleurs pas à
collecter tout le café produit. »
« C’est pour ça notamment que RAEK et ses
membres nourrissent encore de nombreuses attentes de la collaboration avec
Oxfam. Disposer des moyens techniques (containers et moyens de transports) pour
une meilleure collecte ou encore obtenir la certification ‘fair trade’ font
encore partie de ces éléments cruciaux qui permettront aux caféiculteurs de
pouvoir entièrement vivre dignement de leur travail », insiste Patrick Muligano
tout en rappelant qu’Oxfam prête une oreille très attentive aux besoins de la
coopérative et de ses membres.
Néanmoins, l’un des plus beaux messages
d’espoir, signe d’un futur changement en profondeur, provient de Jean de Dieu
Mulungu. Car si une chose rend ce caféiculteur particulièrement fier, c’est
bien la réussite de son aîné : « Grâce aux revenus supplémentaires générés par
la meilleure qualité de notre café, j’ai pu scolariser tous mes enfants.
L’aîné, lui, a même décroché une licence à l’université, en santé publique.
C’est ma grande fierté mais je ne veux pas en rester là. J’espère bien que tous
mes enfants pourront suivre la même voie et terminer des études de haut niveau.
»